L’Université de Saint-Gall rejoint le Choix Goncourt de la Suisse - Entretien avec le professeur Reto Zöllner

Pour sa neuvième édition, l’Université de Saint-Gall rejoint le Choix Goncourt de la Suisse auprès des huit autres universités et écoles participantes. À cette occasion, l’ambassade de France en Suisse s’est entretenu avec le professeur Reto Zöllner, responsable du projet.

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Entretien - Lundi 6 novembre 2023

Propos recueillis par Gustave Bulteau, chargé de mission culturelle à l’ambassade de France en Suisse.

Monsieur Zöllner, merci d’avoir accepté l’invitation de l’ambassade de France à cet entretien, à l’occasion de la seconde délibération du Choix Goncourt de la Suisse 2023. Pourriez-vous vous présenter brièvement ?

Bonjour, je vous remercie de m’avoir convié à cet entretien. Je suis enseignant à l’Université de Saint-Gall, et pour la première fois en charge de ce cours sur le Choix Goncourt de la Suisse. J’enseigne le français aux niveaux B2 et C1. Je suis également enseignant à la Haute École Pédagogique de Zurich où je dispense des cours de littérature française et de linguistique.

Pourriez-vous nous présenter l’Université de Saint-Gall qui axe son enseignement sur les questions économiques, n’est-ce pas ?

Oui, c’est bien cela. Nous avons des cours d’économie, mais aussi de droit. Les matières strictement littéraires sont intégrées dans ce que l’on appelle les « skills », pour les étudiants en bachelor par exemple. C’est dans ce cadre que s’inscrit le cours sur le Choix Goncourt. Ce sont des cours optionnels grâce auxquels nous privilégions d’autres approches que celles strictement économiques ou statistiques. Nous avons également beaucoup d’étudiants en relations internationales. Ces étudiants ont un profil très intéressant.

Il s’agit en effet de la première participation de l’université de Saint-Gall au Choix Goncourt. Comment et pourquoi avez-vous décidé de rejoindre ce choix ? Je rappelle que huit universités et écoles suisses étaient déjà partenaires du projet. Pourquoi avoir rejoint ce Choix et pourquoi avoir attendu cette neuvième édition pour le rejoindre ?

L’idée est née de ma collègue Anna Elsner, qui était présente à la cérémonie d’annonce de 2022. Nous avons pensé que Saint-Gall serait un bon partenaire pour ce projet. Il est vrai que nous avons dû attendre. La situation est tout de même différente de celle d’autres universités qui comptent des étudiant en lettres comme à Zürich, Lausanne ou Bâle. C’est donc peut-être un choix plus osé mais c’est un choix qui a tenu toutes ses promesses ! Nous comptions neuf participantes et participants pour cette première édition.

Nous savons qu’il est parfois difficile d’attirer des étudiants et étudiantes sur de nouveaux projets, de les sortir de leur routine académique qui est déjà très prenante. Comment avez-vous fait pour les intéresser à ce projet ? Pouvez-vous également nous parler de la manière avec laquelle l’université organise ce cours ? Certaines universités octroient des crédits aux étudiants, est-ce le cas de l’université de Saint-Gall ?

Je peux commencer par souligner les vertus d’un tel projet. Il permet aux étudiants de Saint-Gall de rencontrer des étudiants d’autres universités, aussi de découvrir l’univers de la diplomatie culturelle et le travail en ambassade. C’est aussi un cours qui permet de travailler sur beaucoup de compétences, particulièrement des compétences analytiques, qui sont au cœur des enseignements de l’université. Il y a également la rhétorique : savoir argumenter, reconnaître les types d’arguments, centrés sur l’ethos ou le pathos par exemple. Beaucoup de ponts peuvent donc être établis. Ils rendent ce cours très intéressant, à la fois pour les étudiants en économie que pour ceux en droit ou en relations internationales. Il y a aussi des étudiants qui s’intéressent à la littérature et qui souhaitent accroître leurs connaissances littéraires.

Au sujet de l’octroi de crédits, le format de Saint-Gall est différent de celui de l’École polytechnique fédérale de Zurich par exemple. C’est l’université à laquelle on doit se comparer parce qu’elle a, elle aussi, un profil plutôt scientifique. Malgré l’orientation très économique de Saint-Gall, nous offrons tout de même une éducation littéraire, avec un cours qui accompagne le Choix Goncourt. Ce cours est composé de cinq séances, en plus des délibérations et de la cérémonie. Y participer permet aux étudiants l’obtention de deux crédits. Dans le cadre du cours, les étudiants doivent présenter un des livres de la sélection Goncourt. Ils peuvent travailler en binôme ou seuls. Ils argumentent ensuite en vue d’une sélection, et doivent aussi proposer l’analyse de deux passages. Nous avons abordé les concepts de narratologie et de schéma actantiel. C’était aussi un défi pour moi de présenter ces différents aspects en seulement cinq séances. Mes étudiants, à la différence de ceux de Bâle ou Zürich, n’ont pas eu de formation en littérature. Il m’a donc fallu, non pas partir de zéro puisqu’ils ont parlé de littérature au gymnase, mais leur rappeler quelques bases.

L’économie est l’un des principaux axes d’enseignement à l’université de Saint-Gall. Faites-vous un lien entre ces questions économiques et ce Choix Goncourt ?

Ce cours a reposé sur trois piliers fondamentaux. Premièrement, nous avons étudié l’analyse littéraire : la narratologie et le schéma actanciel. Ensuite, nous avons étudié l’argumentation, les formes rhétoriques. Enfin, nous avons en effet étudié d’un point de vue économique le Choix Goncourt. Nous avons parlé des maisons d’édition, de leur concentration, leur gestion, leur structure. Nous avons également analysé les stratégies de marketing, de publicité (numérique et physique), ou encore le prix des livres et l’existence d’éditions de luxe. Les canaux de distribution et les choix marketing et leurs incidences, la couverture, les bandeaux, la quatrième de couverture, entre autres.

L’université de Saint-Gall est située en Suisse alémanique et la plus grande partie de ses cours est dispensée en allemand ou en anglais. Comment avez-vous abordé la question de la langue française dans votre cours ?

La question de la langue s’est en effet posée. Nous voulions ouvrir le cours à des étudiants de niveau B2-C1 en français, en leur donnant la possibilité de travailler en allemand, cela pour ne pas restreindre le cours à un public francophone. Il s’avère que nous avons deux étudiants dont la langue maternelle n’est pas le français. J’en suis ravi !

Il ne doit pas être commun, à l’université de Saint-Gall, de dispenser un cours en français sur un sujet de littérature française autour d’un prix littéraire français. Comment jugeriez-vous l’expérience pour les étudiants et étudiantes ? Quel a été leur niveau d’engagement ?

J’ai été très agréablement surpris de leur engagement. Il faut s’imaginer que le cours est organisé en séances de quatre heures, le vendredi après-midi, de 14h à 18h ; tout cela après une semaine dédiée à l’économie, à la statistique, au marketing... Malgré cela, les étudiants étaient très engagés et ravis de s’investir pour le Goncourt.

En effet, la participation au Choix Goncourt de la Suisse implique un certain investissement de la part des étudiants. L’Académie Goncourt annonce au début du mois de septembre sa sélection de 16 livres qui doivent donc être lus...

Oui, c’est beaucoup, et nous avons dont dû faire des choix. Nous avons catégorisé les livres thématiquement afin d’orienter les étudiants selon leurs préférences personnelles de lecture. Certaines analyses de texte ont donc été plus approfondies selon l’intérêt plus ou moins prononcé des étudiants pour l’écologie, l’histoire, la musique… Dès le début, il a fallu faire des choix forts, quitte à laisser de côté un texte. Croix de cendre par exemple nous a demandé un travail particulier en raison de son prisme historique très précis.

En ce moment même, à l’Université de Berne, les représentants des neuf universités et écoles suisses partenaires délibèrent en vue d’élire le lauréat ou la lauréate du choix Goncourt de la Suisse 2023. En amont de cette délibération, chaque université a élu un ouvrage qu’elle est venue défendre aujourd’hui. Sans nécessairement nous révéler le choix des étudiants de Saint-Gall, pouvez-vous nous dire comment se sont déroulées ces dernières discussions entre étudiants ?

L’une des premières tâches que j’avais demandée aux étudiants était de définir les critères d’un jury de prix littéraire. Retenons-nous des critères thématiques, éditoriaux ou purement littéraires ? Le fait qu’il s’agisse d’un premier roman par exemple a-t-il une influence ? Certains critères peuvent-être plus évidents que d’autres. Nous avons notamment beaucoup réfléchi à la façon dont nous pouvions définir une qualité littéraire. Est-ce une qualité stylistique ? Les 16 textes présélectionnés sont forcément excellents. Nous ne pouvions donc pas immédiatement en écarter certains à cause d’une prétendue « mauvaise » qualité littéraire. Il y a également la question du genre littéraire, qui doit aussi être clairement défini. Nous avons vu que la sélection de l’Académie n’était pas composée exclusivement de romans. Enfin, nous avons tenté d’éclaircir la notion de style. Par exemple, nous avons défini le concept de style paratactique, qui était inconnu des étudiants.

En ce sens, percevez-vous des différences notables entre les critères retenus par les étudiants et ceux des membres de l’Académie, du fait de leur âge, de leur expérience, ou de leur formation littéraire ?

Les critères retenus par les étudiants étaient variés. Pour commencer, les étudiants ont jugé important de questionner le caractère abordable ou accessible de certains textes. Aussi, les étudiants souhaitaient proposer des textes aux thématiques évocatrices et intéressantes. Il y avait également un transfert culturel important et propre à la Suisse, la volonté de présenter un Choix Goncourt de la Suisse qui saurait intéresser toutes les régions et donc tous les publics de Suisse. Enfin, nous avons eu une discussion autour du genre : devrions-nous choisir un roman de forme classique, un pavé comme Veiller sur elle ou bien un livre qui ne correspond pas entièrement aux critères du roman comme Triste Tigre de Neige Sinno ?

Pensez-vous que les étudiants et étudiantes se préoccupent davantage de la thématique d’un livre, en cela qu’elle répond ou non à des enjeux de société forts ?

C’est ce qui m’a en effet surpris. Certains choix faisaient très clairement référence à l’actualité. Par exemple, Kevin Lambert a été très vite écarté dans notre discussion. Même si nous avions apprécié son style et notamment la scène de la piscine, son texte a peu retenu l’attention des étudiants. Au contraire, Humus de Gaspard Koenig, a plus été du goût des étudiants, cela en raison de son lien avec l’actualité.

Pourriez-vous évoquer votre expérience, en tant que professeur. Quelles sont vos impressions sur cette première édition ?

Ce qui me tient à cœur c’est d’encourager à la lecture. J’ai pu constater cette passion de feuilleter les livres, ce goût pour la littérature. Cela m’a beaucoup plu, et impressionné aussi. Je crois que de tels projets favorisent la lecture et le goût pour celle-ci.

Le Choix Goncourt de la Suisse sera annoncé le 21 novembre 2023 à la Résidence de France à Berne, en présence de Mme Marion Paradas, Ambassadrice de France en Suisse, et de M. Didier Decoin, président de l’Académie Goncourt. Serez-vous présent lors de cette cérémonie ? Qu’attendez-vous de cette cérémonie, pour vos étudiants notamment ?

Oui, je serai présent à la cérémonie ! Pour l’annonce, le suspense est très bien gardé (rire). Je trouve très intéressant pour les étudiants de découvrir le monde diplomatique. Ils pourront ainsi croiser les regards et rencontrer de nouvelles personnes. La convivialité est également l’un des grands charmes de ce projet. C’est le retour que j’ai eu de nos deux délégations, et c’est aussi ce qui fait le charme de ce format.

Pouvez-vous d’ores et déjà nous dire si l’Université de Saint-Gall participera au Choix Goncourt de la Suisse 2024 ? Au vu de l’engagement des étudiants de Saint-Gall cette année, et du vôtre, nous l’espérons grandement !

J’y crois fermement ! D’autant que les étudiants qui y ont participé cette année ont d’ores et déjà commencé à faire de la publicité pour ce projet (rire). Cela passe maintenant directement par les étudiants. Je suis convaincu que ce cours connaîtra un franc succès !

Lire l’article de l’Université de Saint-Gall : Choix Goncourt de la Suisse : HSG students take part in France’s most important literary competition

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publié le 12/03/2024

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